Ceci est une version d'archive [2015] // this is an archival version [2015]

Christina Battle

(Alberta, Canada/États-Unis)

Christina Battle

LES PERSONNES SUR CETTE PHOTO SONT SUR
LES RESTES DE CE QUI ÉTAIT UNE JOLIE DEMEURE

Centre des arts actuels Skol
10 septembre au 10 octobre 2015

Les forces de la nature peuvent paraître apprivoisées grâce aux méthodes de prévision modernes (géologiques, météorologiques, etc.), qui ont éclipsé les légendes ancestrales : le marteau de Thor provoquant un violent séisme ou Poséidon agitant les vagues pour créer un tsunami. Les catastrophes ne sont plus perçues comme un châtiment divin ou comme une prémonition de la fin du monde mais, lorsqu’elles frappent contre toute attente, elles frappent aussi l’orgueil humain. Jean-Luc Nancy prétend que, depuis Fukushima, il n’y a plus de catastrophes naturelles, mais bien une catastrophe civilisationnelle à l’œuvre.

De nos jours, la diffusion d’images de désastres dans les médias entraîne leur transformation immédiate en spectacle. Comment décrire alors un événement traumatisant sans tomber dans le sensationnalisme ? Comment informer sans satisfaire une curiosité morbide ?

Christina Battle, qui a fait des études en environnement, oriente son travail sur l’histoire, la contre-mémoire, les mythologies politiques et l’iconographie de la catastrophe. Son installation The people in this picture are standing on all that remained of a handsome residence (2014) est une interprétation du Black Friday (vendredi noir) à Edmonton, le 31 juillet 1987, alors qu’une tornade dévastatrice faisait des dizaines de morts et des centaines de blessés et causait la destruction de nombreuses habitations et d’énormes pertes matérielles.

Battle a recueilli des photos de la tragédie d’Edmonton et des vidéos de tornades publiées dans les médias sur Internet. Elle a ensuite modifié les codes de ces photos, provoquant ainsi des accidents graphiques aléatoires (glitch). Puis elle a fusionné les résultats avec des fichiers vidéo, corrompant leur code à l’aide d’autres éléments pour forcer leur reproduction simultanée (datamosh). Par ce procédé, les images « muettes » deviennent « éloquentes » ; la fragmentation et l’abstraction qui se répètent dé-spectacularisent le drame.

Impassible face à la tentation de se livrer à de la disaster porn, Battle suggère que chaque catastrophe comporte sa part de lumière.

BIO

Née en 1975 à Edmonton, en Alberta, Christina Battle vit et travaille à Denver, au Colorado. Elle détient une maîtrise en beaux-arts du San Francisco Art Institute (2005). Ses œuvres ont été présentées dans plusieurs expositions individuelles et collectives en Amérique du Nord et en Europe, notamment à l’Arvada Center for the Arts and Humanities à New York (2014) ; à la Gallery 44 à Toronto (2014) ; au Ryerson Image Centre à Toronto (2012) ; au Rotterdam Film Festival (2008) ; à la Galerie d’art Foreman à Sherbrooke (2007) ; et au London Film Festival (2007). Elle est récipiendaire de plusieurs prix et bourses : le Best Canadian Work Jury Prize au WNDX Festival of Moving Images à Winnipeg en 2013, le Steam Whistle Homebrew Award au Images Festival of Toronto en 2008, et le James Broughton Film Award du San Francisco Art Institute en 2005.

www.cbattle.com

The people in this picture are standing on all that remained of a handsome residence, 2014

The people in this picture are standing on all that remained of a handsome residence, 2014

The people in this picture are standing on all that remained of a handsome residence, 2014

ÉVÉNEMENTS

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ENTREVUE AVEC CHRISTINA BATTLE

(traduction libre du MPM en français)

QUESTIONS GÉNÉRALES SUR LE PROCESSUS CRÉATIF DE L’ARTISTE

Parlez-nous de votre démarche. Par quoi commencez-vous lorsque vous créez une nouvelle oeuvre? Qu’est-ce qui vous inspire?

Je n’ai souvent aucune idée de comment je crée jusqu’à ce que j’y réfléchisse après avoir terminé. Je suis très inspirée par les nouvelles et les médias et les façons dont ils sont utilisés pour diffuser l’information, souvent de manière manipulatrice. Normalement, c’est là que mes idées commencent. La forme et le procédé changent en fonction de l’œuvre et de la façon dont ça doit être fait.

Travaillez-vous sur plusieurs projets en même temps?

J’ai souvent plusieurs choses en même temps. J’aime penser à plusieurs idées ou approches en même temps. Habituellement, je travaille sur plusieurs choses qui sont en fin de compte reliées. Ça me laisse arriver à une idée de plusieurs façons.

Pouvez-vous nous décrire une journée typique dans votre vie d’artiste?

La plupart du temps, c’est comme si je jonglais avec 2 emplois à temps plein. Je travaille sans arrêt pratiquement chaque jour – à mon travail et pour moi. J’écris beaucoup de courriels, je fais beaucoup de paperasse, j’organise beaucoup de choses, je cuisine, je jardine, j’essaie d’avoir le temps de relaxer et profiter de la vie. Ça passe en un clin d’œil.

Si vous n’étiez pas artiste, que seriez-vous?

J’ai étudié en biologie environnementale au baccalauréat et des fois je pense à y retourner (la botanique plus spécifiquement aujourd’hui). Ça façonne fortement ma pratique et j’aimerais passer plus de temps à l’étudier et à faire des recherches.

QUESTIONS GÉNÉRALES SUR LE MONDE DE L’ART

Quelle(s) oeuvre(s) aimeriez-vous posséder?

Je viens de lire un article en ligne il y a 5 minutes que Risa Horowitz (une artiste présentement à Régina, SK) a posté sur Facebook à propos des oeuvres au point de croix de Leah Emery et elles sont formidables. J’aimerais en avoir une chez moi!

Quelle est la chose la plus étrange que vous avez vue se produire dans un musée ou une galerie?

Une fois, j’ai vu quelque chose d’assez traumatisant que je ne veux pas vraiment partager. C’était bizarre et terrible et ça m’a vraiment fait penser au fait que les musées et les galeries paraissent protégés – mais en réalité à quel point ils sont publics. Nous ne nous attendons pas à partager des expériences traumatisantes avec d’autres quand nous sommes dans des musées ou des galeries et quand ça arrive ça te tire vraiment hors de l’expérience.

Internet constitue un miroir universel où les chemins de notre expérience bifurquent : nous pouvons décider d’exister et de déployer notre activité dans le monde tangible ou le faire dans le monde virtuel. L’écran devient alors une membrane perméable qui permet le passage d’un côté à l’autre.

Mais si nous repensons notre conception du réel, nous devons aussi reconsidérer le sens même du genre documentaire. On peut spéculer de manière délibérément tautologique sur deux hypothèses : de un, la réalité est telle qu’elle apparaît sur les écrans qui servent d’interface entre le sujet et l’objet; et, de deux, en documentant le monde en images, nous contribuons à générer plus de réalité.

Quelle est votre relation avec Internet et les réseaux sociaux par rapport à votre pratique artistique? Avec la réalité virtuelle?

La plupart de mes oeuvres débutent par de l’information à laquelle je suis exposée sur Internet, c’est ma source principale de recherche. C’est LA réalité, qui se déroule à la vitesse de l’éclair devant mes yeux. Des fois, c’est imparfait et ce n’est pas toujours fiable mais ça en fait partie. Je suis fondamentalement intéressée par ces paramètres – l’irréel et le réel, les moments instables où la vérité est incertaine – et comment ça a changé la façon dont nous interagissons avec les images, avec le autres et avec le monde qui nous entoure.

QUESTIONS SUR SON OEUVRE

Que représentent les images de The people in this picture are standing on all that remained of a handsome residence et d’où viennent-elles?

Les images ont commencé comme des images trouvées d’une tornade qui a touché Edmonton quand j’avais 12 ans. La tornade a été assez dévastatrice et est à ce jour la seule catastrophe naturelle majeure que j’aie vécue. Les images venaient à l’origine de sources de nouvelles que j’avais trouvées sur Internet et que je m’étais appropriées. Ensuite, elles ont été manipulées pour les rendre abstraites.

Vous transformez et embellissez des images de désastres dans The people in this picture are standing on all that remained of a handsome residence. Qu’est-ce que la disaster porn selon vous?

Je pense beaucoup à notre besoin de voir des images de désastre – pourquoi nous en avons besoin et pourquoi nous nous en délectons au point qu’elles deviennent belles. Un jour, j’ai lu une statistique qui m’a marquée – que seulement à peu près 5% des Américains ont réellement vécu une catastrophe naturelle – pourtant nous avons tous une idée de ce à quoi ressemble un désastre. Avec l’ascension des médias sociaux, notre soif de voir et partager ces images a augmenté. Avec une augmentation des dérangements naturels au cours des dernières décennies, la possibilité de voir des documents de catastrophes naturelles, de mort et de destruction est devenue banale. Pourtant, pour ceux qui vivent vraiment ces catastrophes, ces images sont intensément personnelles. “Disaster porn” est un terme récent utilisé pour décrire ce voyeurisme. Pour moi, il y a des choses trop personnelles pour devoir ou vouloir les documenter sous forme d’image. L’expérience ne peut pas être partagée. Quand je faisais le tri dans des images d’archive en ligne sur la tornade à Edmonton je m’en suis souvenu – je connaissais les quartiers documentés et je me rappelais avoir vu ce qui avait été capté à même les images d’après le désastre. C’était étrange de voir la vie des gens documentée de cette manière presque 30 ans plus tard en navigant sur Internet.

Que pensez-vous de la prolifération d’images de catastrophe dans les médias et du fait que leur diffusion est devenue une forme de spectacle?

En 2014, j’ai écrit un texte pour Incite Journal of Experimental Media intitulé « Hollywood Movies, Media Hype, and the Contemporary Survivalist Movement: An Appropriated Study» dans lequel j’ai analysé cette question. Je pense que c’est relié à la statique mentionnée précédemment – plusieurs d’entre nous n’ont jamais réellement expérimenté de désastre dans la vraie vie pourtant nous l’avons vécu un nombre infini de fois grâce aux films hollywoodiens et aux médias en général. Nous avons une vision faussée de ce à quoi ressemble réellement un désastre et à cause de cela, ça ne peut être autre chose qu’un spectacle.

Pouvez-vous expliquer les procédés de glitching et de datamoshing?

Le glith et le datamosh sont deux méthodes qui permettent de manipuler les images numériques. Les deux profitent du fait que les images numériques sont faites de code. La façon dont j’ai utilisé le glitch initialement était de manipuler le code des images elles-mêmes. J’ai recodé les images pour manipuler leur forme initiale – pour changer la façon dont les couleurs sont affichées ainsi que les éléments de l’image qui sont présentés. Après, j’ai utilisé des techniques de datamoshing pour mélanger les images « glitchées » à de la documentation vidéo de tornades (aussi prises sur Internet). Le résultat est un mélange d’images statiques « glitchées » avec le mouvement des tornades.

Qu’est-ce qui vous a amenée à ce procédé et que vous permet-il de communiquer à travers vos images?

Au début de mes recherches pour le projet, je savais que je voulais travailler avec des images de catastrophes et quand j’ai commencé au départ à ramasser des images de la tornade d’Edmonton, je savais que je ne pouvais pas les utiliser telles quelles. Ça me semblait trop relever de l’exploitation, elles documentaient les traumatismes personnels d’étrangers et je n’étais pas à l’aise avec le fait de les utiliser. Après avoir recherché davantage notre relation avec l’imagerie de catastrophe, j’ai réalisé que manipuler ces images serait la seule façon que je puisse approcher ces idées, et puisque les images ont été trouvées en ligne et existaient sous forme numérique, je sentais que j’avais besoin d’utiliser des stratégies numériques aussi.

Quel est l’avenir de l’image en art contemporain selon vous?

Avec un peu de chance, elle restera en évolution constante avec des artistes qui abordent des questions nouvelles et urgentes reliées aux différentes formes comme la technologie change et devient plus (des fois moins) accessible.

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