Maintenant. Images du temps présent
Maintenant que l’image photographique a cédé le monopole de la représentation événementielle à des formes visuelles plus promptes à traduire les chocs de l’actualité, à quelle « expérience » du temps présent la photographie actuelle nous convie-t-elle ? Du drame local à la nouvelle internationale, du fait divers au fait d’histoire, comment, maintenant, les pratiques photographiques interprètent-elles l’actualité ? Prenant acte de l’héritage historique du photojournalisme et de ses déclinaisons actuelles dans le champ des pratiques artistiques contemporaines, la 8e édition du Mois de la Photo à Montréal entend faire état des propositions artistiques les plus novatrices en matière de représentation événementielle.
Le Mois de la Photo à Montréal est la seule biennale de photographie contemporaine au Canada. Cette 8e édition donne le coup d’envoi à une présentation renouvelée et unifiée. Les expositions s’articulent désormais autour d’une thématique d’ensemble. Cette année, « MAINTENANT. Images du temps présent » propose un état des lieux sur la photographie d’événement. Au programme : plus d’une vingtaine d’expositions individuelles et thématiques gratuites diffusant les oeuvres d’artistes locaux, nationaux et étrangers (États-Unis, Europe, Israël, Chine) dans divers lieux du grand Montréal.
Une photographie d’histoire ?
Une image en cache parfois une autre. Il arrive en effet que certaines images d’actualité renvoient à des représentations historiques, parfois même aux dépens de la réalité photographiée. De fait, plusieurs clichés de presse doivent leur notoriété non pas tant au caractère exceptionnel de la scène enregistrée qu’aux célèbres images historiques qu’ils évoquent, miment ou reconstituent. Le risque de confondre les événements du jour avec les faits d’autrefois devient alors bien réel. Plusieurs travaux photographiques contemporains s’emploient à mettre au jour cette rhétorique. Voilà l’une des interrogations phares de la 8e édition du Mois de la Photo à Montréal : peut-on encore aujourd’hui, au moyen de la photographie, notamment, faire oeuvre d’histoire ? À cette question, les réponses sont diverses, nuancées, voire contradictoires, comme s’il fallait tout à la fois pondérer l’héroïsme militant d’un certain photojournalisme de brousse, rappeler les raccourcis opérés par l’industrie de l’information, critiquer la tentation de l’actualité-spectacle, mettre en veilleuse la notion même d’histoire.
La guerre est l’un des sujets de prédilection du photojournalisme. Impossible d’évoquer « Verdun », « Iwo Jima » ou « Saigon » sans qu’une image de presse s’impose aussitôt telle un emblème du conflit. Voilà ce que l’on peut appeler une image-monument : une image qui cristallise une époque dans un moment exemplaire. Mais comment montrer autrement la guerre ? Nous avons récemment assisté au retour en force des reporters sur les différents théâtres d’opérations en
Irak. Certains ont salué cette réhabilitation du photographe-témoin. D’aucuns ont émis des réserves sur son libre arbitre. Des images ont été prises et elles nous sont parvenues. Et avec elles l’information à l’effet que des membres de la profession étaient tombés sous le feu « ami ». Les conditions étaient réunies pour que l’on « héroïse » de nouveau la figure du reporter-photographe. Quelles seront les images qui domineront nos souvenirs lorsque l’on dira « Bagdad » ? Certains lieux sont orphelins d’images. D’autres anéantissent même tout potentiel d’icône : « Auschwitz ».
Plusieurs des expositions présentées dans le cadre de la 8e édition du Mois de la Photo à Montréal proposent des alternatives à la quête obligée du scoop et de l’image-choc. À la monoculture visuelle des médias de masse en matière de représentation des événements contemporains – le terrorisme, par exemple –, la création photographique oppose une diversité d’écritures. Comme s’il fallait contrer ce que certains spécialistes du comportement humain appellent la « fatigue compassionnelle », soit l’absence de réponse émotive face au malheur (d’autrui) – trop d’horreur tue l’horreur ! –, certains artistes préfèrent montrer des images où la violence apparaît latente, tapie. Le suspens et l’anticipation du pire constituent alors le sel de ces photographies que nous avons réunies. C’est parfois la rhétorique de la photographie d’actualité – images floues et/ou granuleuses, cadrages approximatifs, plans rapprochés, etc. – que les artistes examinent comme pour mieux sonder la violence des images contemporaines.
La présente édition du Mois de la Photo à Montréal propose d’examiner cette dialectique de l’authenticité et de l’imprécision, de la vérité et du flou qu’exploitent sans réserve les formes plus actuelles de représentation de l’événement – la télésurveillance, notamment. Les archives visuelles peuvent également faire l’objet d’un traitement « éditorial » spécifique de la part de la création actuelle. Actualiser les archives, c’est aussi commenter le temps présent. L’histoire s’écrit toujours au présent.
Enfin, Le Mois de la Photo à Montréal a estimé judicieux d’accueillir une importante exposition historique, Rise of the Picture Press, portant spécifiquement sur les bouleversements opérés par la photographie dans le domaine de la presse illustrée. Organisée par le International Center of Photography (New York), cette exposition, réunissant essentiellement les fleurons de la presse illustrée des années 1920 et 1930, apportera un complément essentiel à une meilleure
compréhension des rapports entre photographie, actualité, histoire et événement. Cette exposition sera d’autant plus appréciée que l’image de presse demeure une référence de premier ordre dans le travail de plusieurs artistes réunis dans notre biennale. En complément, nous sommes heureux d’accueillir la prestigieuse exposition du World Press Photo 2003 couronnant les images de presse les plus marquantes de la dernière année. Nous croyons important de montrer les images
de presse, telles que produites et célébrées par le photojournalisme actuel.