Janet Cardiff et George Bures Miller
(Colombie-britannique, Canada)
SUR LA ROUTE
Parisian Laundry
10 septembre au 11 octobre 2015
Janet Cardiff et George Bures Miller ont découvert une série de diapositives prises par le grand-père de George, Anton Bures, qu’il n’a jamais connu puisqu’il est décédé avant sa naissance. Ces diapositives ont été prises au cours d’un voyage de Calgary à New York effectué par Anton, alors atteint d’un cancer en phase terminale, pour aller rencontrer un oncologue. Road Trip (2004) revisite cette histoire au moyen d’un diaporama monté sur un ancien carrousel à diapositives Kodak et d’une bande sonore où l’on entend une conversation entre les deux artistes.
Les diapositives, décolorées par le temps, décrivent le trajet parcouru dans les majestueux paysages canadiens jusqu’à la Statue de la Liberté. Parallèlement, on entend les artistes en voix hors champ qui, cherchant à déchiffrer la route empruntée, se demandent comment ordonner correctement les diapositives. La succession des diapositives, tel un instrument de percussion, sert de toile de fond à leurs hésitations et à leurs prises de décision.
Depuis Ulysse, nous savons que tout voyage s’inscrit au cœur d’un autre voyage. Parcourir le territoire s’accompagne ici d’une traversée des raisons qui poussent à faire de la photographie. Pourquoi les gens prennent-ils des photos ? Anton cherchait peut-être à représenter sa fin, et la photographie lui permettait de s’accrocher à la vie. George se souvient que son père, juste avant qu’il ne divorce et ne quitte sa famille, s’était lui aussi mis à prendre des photos de ses enfants, de manière compulsive, comme pour conjurer la perte à venir.
Dans un épisode de la populaire série télévisée Mad Men, Kodak confie à Don Draper le lancement publicitaire du carrousel. Draper, traversant aussi une rupture, projette des photos de sa famille brisée pendant qu’il explique le carrousel : « Grâce à cette machine, […] on remonte le temps. D’une pression on recule, on avance. Elle nous ouvre les portes d’une époque perdue que l’on rêve de retrouver. […] On voyage comme un enfant sur un manège. On tourne, et on tourne, et on retourne au point de départ, ce lieu magique où on se sait aimé. »
BIO
Janet Cardiff est née en 1957 à Bruxelles, au Manitoba, et George Bures Miller est né en 1960 à Vegreville, en Alberta. Ils vivent et travaillent ensemble à Grindrod, en Colombie-Britannique, et à Berlin. Collaborant depuis 1995, le duo a exposé ses œuvres à travers le monde, notamment au Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofia à Madrid (2014-2015) ; à la 19e Biennale de Sydney (2014) ; au Museum of Contemporary Art San Diego (2013) ; au Museum of Contemporary Art à Helsinki (2012) ; au Baltic Center for Contemporary Art à Gateshead (2012) ; au Palais de Tokyo à Paris (2011) ; à la Nationalgalerie im Hamburger Bahnhof – Museum für Gegenwart Berlin (2009) ; et à la Biennale de Venise (2001). Les artistes ont reçu plusieurs prix, tels que le Käthe Kollwitz Prize en 2011, le Gershon Iskowitz Prize en 2003, ainsi que le Benesse Prize et le Special Award, tous deux à la Biennale de Venise en 2001. Cardiff et Miller sont représentés par Luhring Augustine à New York.
www.cardiffmiller.com
www.luhringaugustine.com
Portrait: © Zev Tiefenbach
Entrevue avec Janet Cardiff et George Bures Miller
(traduction libre du MPM en français)
Internet constitue un miroir universel où les chemins de notre expérience bifurquent : nous pouvons décider d’exister et de déployer notre activité dans le monde tangible ou le faire dans le monde virtuel. L’écran devient alors une membrane perméable qui permet le passage d’un côté à l’autre.
Mais si nous repensons notre conception du réel, nous devons aussi reconsidérer le sens même du genre documentaire. On peut spéculer de manière délibérément tautologique sur deux hypothèses : de un, la réalité est telle qu’elle apparaît sur les écrans qui servent d’interface entre le sujet et l’objet; et, de deux, en documentant le monde en images, nous contribuons à générer plus de réalité.
Quel est votre rapport aux archives?
Notre rapport aux archives est plutôt un intérêt dans la recherche et la collecte d’objets qui ont une histoire et comment l’histoire se transfert au spectateur qui les éprouve.
Quelle est la valeur documentaire de la photographie sous la condition post-photographique puisque les images numériques peuvent facilement être modifiées?
La photographie arrête encore le temps pour un instant. Elle parle de l’endroit où le photographe se tient, le moment de la journée, le temps, et nous voyons le monde de la perspective du photographe. Je pense que la photographie documentaire est encore plus pertinente avec Instagram et Internet où les gens veulent montrer où ils sont aller et ce qu’ils ont vu.
Quel est l’avenir de l’image en art contemporain selon vous? Internet est l’avenir…comme l’Arte Povera… le médium s’est rendu au public. Avec la photographie dans les musées, il s’agit de l’esthétisation et peut-être du ralentissement du mouvement de ces images.