Dina Kelberman
(États-Unis)
TORRENT
Centre CLARK
3 septembre au 11 octobre, 2015
Dina Kelberman a inventé un type particulier de réaction en chaîne qui dépasse le domaine de la chimie. I’m Google (débuté en 2011) est constitué d’une chaîne d’images en ligne qui se succèdent en enfilade par affinités morphologiques et sémantiques : chaque image en appelle une autre pour générer un flux progressif, incessant, inépuisable…
Le XIXe siècle a assisté à la naissance du besoin compulsif d’amasser des images pour contrôler le monde: les albums des criminalistes Alphonse Bertillon et Cesare Lombroso en sont un exemple. Au XXe siècle, à cette obsession de la compilation s’est ajoutée la volonté de comprendre la culture et l’expérience humaines. Les exemples vont de l’Atlas Mnémosyne d’Aby Warburg (1924-1929) à l’Atlas Mikromega (1962-2013) de Gerhard Richter, en passant – dans un autre registre – par Le livre des passages (1927-1940) de Walter Benjamin et Le miroir (1975) d’Andreï Tarkovski. Ce fil continu d’images dialectiques – c’est-à-dire, en conversation avec d’autres images – nous conduit à Kelberman et au XXIe siècle. Il s’agit ici de montrer plus que de dire : le discours se situe dans l’infinité même des images.
Les spectateurs ont parfois cru, à tort, que I’m Google a été créé simplement grâce à un logiciel automatisé, «un bot informatique “lâché” sur le moteur de recherche d’images de Google puis dirigé vers Tumblr, grâce à de nombreuses heures de recherche, de sélection et de tri de documents. […] L’œuvre de Kelberman exploite une tendance de l’art en ligne » qui, selon Teju Cole, «enjoint le spectateur à admettre qu’il s’agit du produit d’un bot, et non pas celui d’un artiste : une sorte d’inversion du test de Turing ».
Parmi l’ensemble d’œuvres rassemblées sous l’étiquette générique Torrent, Le Mois de la Photo à Montréal présente deux autres projets dont le propos est du même ordre, Doors (débuté en 2012) et Go Outside (2015).
BIO
Née en 1979 à Annapolis, Dina Kelberman vit et travaille à Baltimore. Elle détient un baccalauréat en beaux-arts du Purchase College à New York (2003). Ses expositions individuelles et collectives ont été présentées, entre autres, au Marina Abramović Institute à New York (2015) ; à la Biennale Internationale Design SaintÉtienne (2015) ; à la CUE Art Foundation à New York (2014) ; au Broadcast Posters à Lyon (2014) ; au Night Contact à Londres (2013) ; à la Furthermore Gallery à Washington (2013) ; au New Museum à New York (2013) ; à la Screengrab New Media Arts Award Exhibition en Australie (2012) ; au Maryland Film Festival (2012) ; et au Double Double Land à Toronto (2010). Kelberman est récipiendaire de la Rhizome Tumblr Internet Art Grant en 2013, et elle a été finaliste pour les Screengrab New Media Art Awards en 2012. Elle a été artiste en résidence pour Electric Objects (2014).
Entrevue avec Dina Kelberman
(traduction libre du MPM en français)
Questions générales sur le processus créatif de l'artiste
Parlez-nous de votre démarche. Par quoi commencez-vous lorsque vous créez une nouvelle oeuvre? Qu’est-ce qui vous inspire?
J’essaie de faire des œuvres le plus impulsivement possible. J’ai toujours travaillé avec ce que j’avais sous la main, et puisque je suis sur l’ordinateur pratiquement toute la journée à tous les jours les choses sous la main sont des éléments multimédia et des images d’Internet ou autre. J’ai tendance à graviter autour de la couleur, et la plupart de mes œuvres sont issues de l’expérimentation avec la combinaison ou la manipulation de couleurs. J’aime faire des choses sans me questionner sur mes lubies et considérer plus tard pourquoi.
Quel artiste a eu le plus d’influence sur votre pratique et pourquoi?
L’année passée une de mes expositions a été critiquée et mon oeuvre Smoke & Fire a été jugée trop “dérivée” d’une œuvre appelée Every Anvil de Jennifer et Kevin McCoy et quand j’ai lu ça j’étais comme “vous êtes le dindon de la farce madame parce que je ne sais même pas c’est qui!” Et puis je l’ai « googlé » et j’ai réalisé que c’était cette œuvre que j’avais vue par hasard il y a 15 ans dans une galerie de Chelsea et que j’avais beaucoup aimée et ça avait en fait eu un impact profond sur mes idées sur l’art et ça a été vraiment inspirant pour moi. Il s’est avéré que mon œuvre était influencée par Every Anvil et elle avait raison!
À ce sujet, je me suis retrouvée dans une exposition avec Jennifer et Kevin McCoy il y a quelques années (avant de recevoir cette critique et de me souvenir de cette œuvre) dans laquelle j’ai présenté Smoke & Fire et rencontré Kevin McCoy, qui était super gentil et très bavard et étonnamment n’a pas mentionné qu’il avait fait une œuvre similaire plusieurs années auparavant…
Alors pour répondre à votre question : Chuck Jones.
Travaillez-vous sur plusieurs projets en même temps?
OUI. Je travaille constamment sur une tonne de choses en même temps. Plusieurs de mes projets sont « en cours » dans le sens qu’ils sont basés sur des collections auxquelles je peux ajouter à l’infini jusqu’à ce que je décide d’arrêter. Alors occasionnellement, je mets à jour chacun de ces projets (en particulier I’m Google, Smoke & Fire et Thanks Newsletter). J’ai normalement aussi plusieurs projets auxquels je pense et pour lesquels je collectionne ou travaille ou essaie de comprendre des choses. J’ai aussi un emploi comme designer web, ce qui alimente beaucoup mes œuvres, et j’écris, je fais des designs de production, et du développement Internet pour AB Video Solutions, une compagnie de production vidéo que mes amis gèrent. J’ai en gros toujours beaucoup trop de choses en même temps, ce que j’essaie de maitriser parce qu’ironiquement, je pense que l’ennui est la plus importante des forces créatrices qu’il y a.
Nous évoluons dans un nouvel ordre visuel dicté par une forme de « dictature de l’écran. » Ce nouvel ordre visuel est caractérisé par trois facteurs: l’immatérialité et la transmissibilité des images; leur profusion et leur disponibilité; et leur rôle décisif dans l’encyclopédisation du savoir et de la communication.
Quelle est votre relation avec Internet en lien avec votre pratique artistique? Comment la diffusion et la circulation d’images sont-elles importantes dans votre travail?
Je suis vraiment obsédée par le fait de trouver des images et des vidéos sur Internet et essayer de comprendre pourquoi ils existent, et comprendre (ou ne pas comprendre) pourquoi celui qui les a créées l’a fait de cette façon. Internet rend ce processus infini, parce qu'il y a tellement de contenu à trouver. Chaque fois que je trouve quelque chose de complètement impensable, il s’avère qu’il y a toute une culture autour de ça et c’est évidemment incroyable d’y penser. Ça me rend heureuse de voir que les gens puissent trouver de la joie dans des choses que je n’aurais jamais pu concevoir ou auxquelles je n’aurais jamais porté attention, et j’aime voir ces gens qui se supportent et créent des relations qui n’auraient pas été possibles sans Internet. Tout le monde a des impulsions particulières et sur Internet il est possible de trouver des gens qui ont les mêmes et d’être en contact avec eux et trouver le bonheur parfait qui découle de ça, et c’est comme ça que j’essaie de faire de l’art et c’est quelque chose que j’aimerais que tous puissent expérimenter.
Pourquoi utilisez-vous des images trouvées?
Je travaille impulsivement avec ce que j’ai sous la main, et quand tu fixes un écran à longueur de journée, à tous les jours, ce qui est sous la main ce sont les images et vidéos que tu vois. J’ai toujours collectionné des images que je trouvais belles, l’accumulation compulsive est courante dans ma famille.
Comment interprétez-vous et donnez-vous une nouvelle signification aux images trouvées?
Je ne pense pas vraiment à ça pendant que je le fais, je travaille en fonction de critères purement esthétiques pour le moment et je pense aux résultats plus tard. Combiner des images change naturellement le tout, que ce soit simplement sous l’effet de la multiplication, de la relation image/champ, la signification dans le contexte, l’optique, etc. J’essaie d’être un partenaire silencieux dans mon œuvre, je pense que les gens ajoutent leur propre signification aux choses et je ne veux pas être un obstacle.
Questions sur son oeuvre
Comment sélectionnez-vous les images ou vidéos qui sont à la base de votre œuvre I’m Google?J’ai une énorme collection de fichiers d’images que j’enregistre sur mon ordinateur et espère utiliser plus tard. Je les collectionne suite à des errances sur Internet. D’autres fois, quand je « travaille » spécifiquement sur I’m Google je tente de faire la prochaine transition pour que la recherche soit plus spécifique. Je finis toujours par trouver des choses sans lien qui sont enregistrées dans mes fichiers. Collectionner des images et des vidéos est quelque chose que j’ai toujours fait et c’est pourquoi j’ai commencé à les mettre sur le blog en premier lieu.
Le titre I’m Google est provocateur. Que signifie-t-il pour vous?
J’ai pensé que ça pourrait être un drôle de titre sur comment j’utilise Google Image pour mes recherches.
Est-ce que la sélection des images pour I’m Google est aussi importante que le fait de les faire re-circuler et les diffuser?
Je ne comprends pas cette question. Le choix d’images est la seule chose qui compte.
Quel est l’avenir de l’image en art contemporain selon vous?
Je n’ai essentiellement aucune idée du passé, du présent ou du futur de l’image en art contemporain.