Liam Maloney
(Ontario, Canada)

MESSAGES TEXTES POUR LA SYRIE
Galerie B-312
10 septembre au 10 octobre 2015
Les conflits actuels ne prendraient pas une dimension épique sans les appareils iPhone et Samsung. La communication au moyen des téléphones intelligents, qui permettent de parler et de photographier, a donné lieu à de nouveaux phénomènes sociaux de participation citoyenne et d’activisme politique, comme les manifestations du printemps arabe ou la plateforme Ushahidi (« témoignage » ou « témoin » en swahili), qui permet de situer sur une carte des informations vitales provenant de zones de catastrophe et de conflit. Liam Maloney a choisi de mettre en lumière un aspect plus intime et troublant, en tournant son objectif en direction de personnes qui tentent de rester en contact avec des êtres chers dont la guerre les a séparés.
« Au Liban, à trente minutes au sud de la frontière syrienne, écrit l’artiste, seize familles de réfugiés vivent dans des tentes érigées dans un abattoir désaffecté. Quand la nuit tombe, les hommes scrutent leurs téléphones mobiles et envoient des textos, espérant recevoir des nouvelles de leurs proches encore piégés le long des lignes de front de la guerre civile. Je les ai photographiés dans l’obscurité, leurs visages simplement éclairés par l’écran de leur téléphone. La misère de leur environnement étant dissimulée par la noirceur, ce pourrait être nous, à la sortie d’un bar, qui vérifions nos messages. Leurs échanges sont toutefois une question de vie ou de mort. Texting Syria (2014) est une installation qui explore la lutte et la force de réfugiés syriens, ainsi que la nature multifacette de la connectivité à l’ère numérique. »
BIO
Né à Montréal en 1975, Liam Maloney vit et travaille à Toronto. Il a été finaliste pour le Dorothea Lange–Paul Taylor Prize en 2014 et pour le Lindalee Tracey Award en 2010, et il a gagné une médaille d’or au Canadian Online Publishing Awards en 2011. Son installation Texting Syria (2014) a été présentée à Images – Festival des Arts Visuels de Vevey (2014) ; à Photoville à Brooklyn (2014) et au Festival Scotiabank Nuit Blanche à Toronto (2014). Cette œuvre a été sélectionnée pour le Picture Story of the Year 2014 par la News Photographers Association of Canada. En tant que photographe documentaire et vidéaste, il a passé les dernières années à documenter la vie des réfugiés au Moyen-Orient et en Afrique de l’Est. Ses œuvres ont été diffusées dans The Guardian, le National Post, Vice, Mother Jones, sur Discovery Channel, Global, CBC et dans le cadre la White Ribbon Campaign. Il est représenté par Polaris Images.
Entrevue avec Liam Maloney
(Traduction libre du MPM en français)
QUESTIONS GÉNÉRALES SUR LE PROCESSUS CRÉATIF DE L’ARTISTE
Parlez-nous de votre démarche. Par quoi commencez-vous lorsque vous créez une nouvelle oeuvre? Qu’est-ce qui vous inspire?
Le point de départ pour créer mes œuvres est toujours de la recherche détaillée et méticuleuse sur le sujet qui m’intéresse. Quel est le contexte historique ? Qu’est-ce qui est caché ? Quels thèmes existent sous la surface ?
Quel artiste a eu le plus d’influence sur votre pratique et pourquoi?
Ma pratique comme photographe documentaire est fortement influencée par le travail de Tim Hetherington dont les idées sur la narration visuelle m’ont aidé à chercher les intersections naturelles entre le travail journalistique et des approches plus conceptuelles.
Luc Delahaye est un autre photographe qui est aux prises avec la distinction entre les arts plastiques et le photojournalisme. Il a créé des œuvres qui considèrent les photos comme un document historique.
Travaillez-vous sur plusieurs projets en même temps?
Je travaille sur plusieurs projets en même temps.
Si vous n’étiez pas artiste, que seriez-vous?
J’étais musicien pendant 10 ans avant de toucher à un appareil photo.
Si je n’étais pas artiste…attendez, qui a dit que j’étais artiste ?
QUESTIONS GÉNÉRALES SUR LE MONDE DE L’ART
Quelle(s) oeuvre(s) aimeriez-vous posséder?
En ce moment, je suis en amour avec les peintures de site secrets et de tirs de drones de l’artiste canadien John Player.
Quelle est la chose la plus étrange que vous avez vue se produire dans un musée ou une galerie?
La chose la plus étrange que j’ai vue dans une galerie ? Rien de me vient en tête. Rien de plus étrange que la vraie vie, de toute façon.
Internet constitue un miroir universel où les chemins de notre expérience bifurquent : nous pouvons décider d’exister et de déployer notre activité dans le monde tangible ou le faire dans le monde virtuel. L’écran devient alors une membrane perméable qui permet le passage d’un côté à l’autre.
Mais si nous repensons notre conception du réel, nous devons aussi reconsidérer le sens même du genre documentaire. On peut spéculer de manière délibérément tautologique sur deux hypothèses : de un, la réalité est telle qu’elle apparaît sur les écrans qui servent d’interface entre le sujet et l’objet; et, de deux, en documentant le monde en images, nous contribuons à générer plus de réalité.
Que pensez-vous des nouveaux moyens de communication utilisés sur les téléphones intelligents, les tablettes et d’autres appareils en lien avec la représentation des conflits ?
La guerre et la technologie ont toujours été entremêlées. Les téléphones intelligents sont précieux pour les réfugiés qui cherchent à partager de l’information et à coordonner des rencontres. Ils ont l’habitude d’aider les populations qui autrement seraient difficiles d’accès. Ils ont l’habitude d’alerter les immigrants des points de contrôle, des zones à risque et des nouveaux développements dans les zones de combat. Ils ont l’habitude de partager de l’information à propos de parents blessés ou morts et des niveaux de menace dans les quartiers assiégés. Ils ont aussi l’habitude d’afficher de l’information à propos de crimes de guerres et de violations des droits humains. Ils sont vulnérables aux violations des règles de sécurité qui peuvent menacer la vie de journalistes citoyens, d’activistes et de civiles. Finalement, ils peuvent être un outil pour répandre de l’information fausse ou trompeuse et de la propagande d’État.
Il ne fait aucun doute que les téléphones intelligents ont eu un impact immense sur notre compréhension des conflits contemporains. Il y a un risque que comme nous sommes inondés avec ces nouvelles données, nous pouvons développer une sorte de myopie technologique – le contexte historique devient dissimulé par les menus détails répétitifs de la souffrance humaine. De ceci découle une inhabilité à agir fermement pour s’occuper de graves crises humanitaires.
QUESTIONS SUR SON ŒUVRE
Qu’est-ce qui vous a amené à photographier et à représenter la vie des réfugiés pour Texting Syria?
Je documente la crise des réfugiés syriens depuis 2013. Le monde n’a pas connu de migration forcée à cette échelle depuis la fin de la Deuxième Guerre Mondiale. Le grand nombre de personnes déplacées par ce conflit et par l’instabilité régionale qui en résulte est presqu’incompréhensible. Les photos peuvent aider, mais les représentations conventionnelles de la souffrance ne semblent pas éveiller le genre de compassion qui peut mener à un changement politique et à des actions concrètes. J’étais intéressé à raconter une histoire discrète – une histoire cachée – qui connecterait la crise aux gens à la maison.
Comment votre projet a-t-il été reçu par les réfugiés? Comment ont-ils réagi à être photographié?
J’ai passé beaucoup de temps à écouter les gens que j’ai pris en photo, en essayant de comprendre ce qu’ils avaient vécu et où ils se voyaient aller. Sans surprise, ils veulent les mêmes choses que nous voulons tous pour nos familles – sécurité, stabilité, opportunité et communauté. Ils étaient incroyablement ouverts et m’ont très gracieusement donné accès à leurs histoires.
Est-ce que vos photos sont mises en scène?
Aucune de mes photos n’est mise en scène. Mettre en scène des photos dans un contexte documentaire est complètement contraire à l’éthique. Quand vous documentez de vraies personnes avec de vrais problèmes, vous avez une obligation morale de photographier les situations en face de vous le plus honnêtement possible. Les gens ne sont pas des accessoires. Ces photos ont été prises tard le soir, à l’extérieur de l’immeuble où les réfugiés avaient trouvé refuge. Ils parlaient, fumaient et buvaient du thé et naturellement, vérifiaient leurs messages, regardaient des clips de nouvelles et communiquaient avec leur famille et amis.
Qu’est-ce que l’interactivité apporte à votre exposition puisque les visiteurs peuvent envoyer un message texte à un numéro et recevoir des messages échangés par des réfugiés au Liban?
L’interactivité est une composante importante de l’installation. Recevoir ces messages souvent banals et occasionnellement urgents sur son propre téléphone amène le conflit chez les visiteurs, et leur laisse ces histoires de deux ou trois lignes qu’ils peuvent traîner avec eux dans leurs poches.
Est-ce que la bande sonore qui fait partie de votre exposition a été enregistrée en direct au Liban? Est-ce que le son des bombes est réel?
Le son a été enregistré pendant la dernière nuit au cours de laquelle j’ai pris en photo les familles syriennes pour ce projet. C’était la première nuit du Ramadan. On peut entendre des chiens aboyer, quelqu’un qui frappe un tambour, des bébés qui pleurent et qui sont réconfortés, des portes qui s’ouvrent et se ferment, des extraits de conversation…il y a des bruits sourds dans le fond qui pourraient être des tirs de mortier lointain qui tombent en Syrie, mais qui pourraient aussi bien être des coups de tonnerre dans les montagnes. Depuis notre emplacement, il n’y avait aucun moyen de le savoir avec certitude.
Pourquoi avez-vous décidé de l’inclure dans votre oeuvre?
L’installation est faite pour être immersive, et le son est une des manières de le faire.
Quel est l’avenir de l’image en art contemporain selon vous?
Quelque chose comme 2 milliards de photos sont mises en ligne sur le web à chaque jour. Plus de 100 heures de vidéo sont mises en ligne sur YouTube à chaque minute. Montrez-moi quelque chose que je n’ai pas vu avant. Je veux apprendre quelque chose. Je veux ressentir quelque chose. Je veux me sentir connecté à quelque chose. Ceci est encore possible, même avec tout ce bruit, peut-être même à cause de lui.